Les produits biologiques sont omniprésents dans notre système de santé. Ils sont utilisés dans le traitement de plusieurs maladies chroniques. Ce sont des moyens thérapeutiques éprouvés et efficaces dont on ne saurait se passer. L’échéance prochaine de plusieurs brevets de médicaments biologiques ouvre la porte à la fabrication de nouvelles versions de ces produits : les produits biologiques ultérieurs (PBU)[1]ou biosimilaires.
L’introduction des biosimilaires est déjà bien amorcée. On prévoit que leur commercialisation sera rapidement étendue à plusieurs champs thérapeutiques (rhumatologie, endocrinologie, dermatologie, oncologie, maladies gastro-intestinales, maladies rares, etc.). Éventuellement, les biosimilaires pourraient avoir des impacts significatifs sur les options de traitement des Québécois, de même que sur la prise en charge de certaines maladies et le travail des professionnels de la santé.
La constitution complexe des produits biologiques, le coefficient de difficulté élevé pour les reproduire ainsi que leurs coûts soulèvent des préoccupations, tant chez les professionnels de la santé que chez les patients et les agents payeurs. Parmi celles-ci, notons d'abord la traçabilité et l'innocuité, mais également l'interchangeabilité et l'extrapolation de ces produits, qui pourraient avoir des effets encore inconnus sur les patients. Notons aussi le manque d’informations disponibles pour ces derniers et les professionnels de la santé.
Par ailleurs, on sait que la croissance des coûts des médicaments, qu’ils soient biologiques ou synthétiques, est devenue un enjeu socioéconomique majeur dans la plupart des pays et exerce une pression continue sur les systèmes de santé et sur les régimes d’assurances. Le Canada et le Québec n’y échappent pas. Néanmoins, l’accessibilité aux thérapies appropriées dans les meilleurs délais possible est un élément déterminant de la santé, de la qualité de vie et de la survie des patients. La valeur thérapeutique d’un nouveau médicament représente donc un enjeu primordial. Il importe de replacer toute discussion sur les biosimilaires dans ce contexte fondamental.
Dans la mesure où leur utilisation est optimale, les biosimilaires pourraient permettre de réaliser des économies réelles sur les coûts des médicaments tout en offrant une alternative thérapeutique intéressante. Toutefois, il serait judicieux d’adopter dès maintenant des mécanismes d'encadrement qui garantiront, tant aux prescripteurs qu’aux patients, un accès réel à la meilleure option thérapeutique.
Pour une position québécoise
Lors de trois séances de réflexion sur les produits biologiques ultérieurs[2] tenues en 2015 et 2016 à l’initiative de l’Alliance des patients pour la santé, plusieurs organisations professionnelles et associations de patients ont échangé sur les problématiques soulevées par l’introduction des biosimilaires. L’objectif visé par l’Alliance était de dégager un consensus sur les meilleures pratiques à endosser et à recommander pour appuyer l’introduction des PBU au Québec de manière sécuritaire, au bénéfice des patients qui en ont besoin.
Des associations de patients telles La Société de l’arthrite, la Société canadienne de recherche intestinale ainsi que Crohn et Colite Canada ont déjà développé une expertise et adopté un positionnement à l’égard des produits biologiques ultérieurs. Leurs avis et recommandations concernant le processus d’évaluation ainsi que l’utilisation des PBU sont à la base de la réflexion de l’Alliance.
Énoncé de principe
Les biosimilaires constituent de nouvelles thérapies auxquelles les Québécois doivent avoir accès. Ils offrent des perspectives intéressantes et économiques dans le traitement de plusieurs maladies chroniques pourvu que leur efficacité, leur traçabilité et leur innocuité soient démontrées selon des principes clairement établis.
Alors que les versions d’origine et génériques des médicaments chimiques sont généralement bioéquivalentes et interchangeables, les PBU sont plutôt similaires aux produits biologiques de référence, mais ne sont pas nécessairement bioéquivalents et interchangeables. C’est pour cette raison que Santé Canada ne recommande pas la substitution automatique d’un produit de référence par son biosimilaire. Cette position pourrait évoluer en fonction de l'évolution des données scientifiques et cliniques. En conséquence :
Comme les biosimilaires constituent une nouvelle avenue de traitement, le principe de précaution devrait s’appliquer pour éviter les risques potentiels à la santé. Ainsi, pour assurer la sécurité des patients, il est recommandé :
Recommandations générales
À l’égard de la sécurité des patients
Étant donné le faible niveau de littératie[3] en santé observée dans la population québécoise, l’éducation et l’accompagnement des patients devraient être une priorité de même que l'élaboration d’outils « vulgarisés » pour favoriser la compréhension et l’adhésion aux traitements (observance).
Il en va de l'assurance qu'un consentement éclairé est accordé par le patient. En effet, « les patients doivent pouvoir avoir avec leur médecin une conversation sans contrainte au sujet de leur thérapie et choisir le meilleur médicament possible en fonction de leur maladie et de leur situation personnelle.»[4]
Assurer la sécurité des patients est d’ailleurs une obligation prévue par la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Les associations de patients devraient jouer un rôle plus important afin d'informer les patients et d'aborder leurs appréhensions. Des campagnes de sensibilisation populaire impliquant l’ensemble des partenaires concernés devraient être réalisées régulièrement. Elles devraient cibler, entre autres, les patients et les proches aidants.
Lorsqu’un patient suit une thérapie qui contrôle bien sa condition, il serait préférable qu’il puisse la poursuivre tant et aussi longtemps que son état de santé est stabilisé. Le Québec devrait s’inspirer ou s’appuyer aussi sur ce qui se fait ailleurs, notamment en France où le principe de précaution s'applique en ce qui concerne la substitution thérapeutique[5]. Également, sur le plan des données probantes, il existe des consensus internationaux et pancanadiens qui devraient faciliter l’examen et l’adoption de pratiques cliniques exemplaires et de thérapies nouvelles.
À l’égard des coûts
Récemment, la fixation par la RAMQ du prix le plus bas pour les patients couverts par le régime public d’assurance médicament obligeait ces patients, incapables de payer la différence de prix, à changer de médicament et ce, même si leur condition était stabilisée par le produit original. Cette mesure discriminatoire à l’égard des patients les plus vulnérables de la société a été suspendue. L'Alliance souligne au passage le travail de l'INESSS qui a contribué à mettre fin à cette mesure jusqu'à ce que soit démontrée hors de tout doute la sécurité du passage du produit d’origine au biosimilaire.
Par ailleurs, les économies réalisées par l’introduction des biosimilaires, tout comme celles générées par les médicaments génériques, devraient être conservées à l’intérieur de l’enveloppe du régime d’assurance médicament et être utilisées afin de favoriser l’accès aux nouvelles thérapies médicamenteuses de même que l’éducation des patients.
À l’égard de la prestation des soins
Peu importe la thérapie choisie ou le service proposé, la prise en charge optimale des soins aux patients, notamment les malades chroniques, passe par l’interaction des professionnels et des intervenants de la santé. Dans le cas des produits biologiques et des produits biologiques ultérieurs, l’interdisciplinarité s’avère également un facteur clé de la stabilisation des patients et de leur autonomisation.
Conclusion
Plusieurs biosimilaires feront leur entrée sur le marché au cours des prochaines années, il y a là une opportunité à saisir, maintenant, pour préciser les modalités qui en encadreront l’utilisation de façon à assurer la sécurité des patients et l'exercice de leur consentement éclairé. La mise au point d’une stratégie efficace pour réduire les inquiétudes découlant de l’introduction et de la commercialisation des produits biologiques ultérieurs, ainsi que pour mieux sensibiliser et informer les patients et les professionnels de la santé, devrait faire l’objet d’une mobilisation des partenaires et d’un dialogue suivi le plus rapidement possible.
Également, observons que les produits biologiques ultérieurs sont une des nouvelles variables qui perturbent les règles du jeu et les mécanismes établis dans la Politique du médicament du Québec. Celle-ci devrait être révisée en conséquence.
Enfin, notons que la position de l'Alliance pourrait être appelée à changer à cause de l'évolution rapide des données scientifiques et cliniques.
Octobre 2016, révisé novembre 2018
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[1] ou produits « biosimilaires »
[2] Liste des participants en annexe
[3] « La littératie en santé est la capacité pour des individus de repérer, comprendre, évaluer et communiquer de l’information pour être capables de composer avec les divers contextes de santé afin de promouvoir la santé tout au long de leur vie. » - Zoom Santé, février 2012, Institut de la statistique du Québec
[4] «Le consentement éclairé des patients et les PBU», Barry Stein, Association canadienne du cancer colorectal, Séance de réflexion sur les PBU et le cancer, 24 mai 2016
[5] Médicaments biosimilaires, État des lieux, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, septembre 2013
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