Le système de santé et de services sociaux mis en place au Québec dans les années 1970 repose sur des valeurs de justice sociale et de solidarité, de telle sorte que l’accès aux services soit en fonction des besoins de l’individu plutôt que de sa capacité de payer. La Loi sur les services de santé et les services sociaux assure à toute personne le droit de « recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans scientifique, humain et social, avec continuité, et de façonpersonnalisée et sécuritaire (1) ». Elle spécifie également que « toute personne a le droit de choisir le professionnel ou l’établissement duquel elle désire recevoir des services de santé ou des services sociaux (2) ».
Devant les problèmes persistants du système de santé et de services sociaux, plus particulièrement au niveau de la 1re ligne, des organismes dont la culture, la mission et les positions sont parfois divergentes, ont jugé nécessaire d’unir leurs voix et de proposer des solutions qu’ils estiment essentielles pour le bien-être et la santé des patients et de la population, de même que pour contribuer à la pérennité du système. Notre partenariat est inhabituel. Nous souhaitons que la classe politique, en cette année préélectorale, prenne conscience qu’il faut intervenir pour améliorer l’organisation, la gouvernance, les modes de financement et de rémunération, la prestation des services de santé et des services sociaux, de même que la prévention des problèmes de santé.
C’est en 1984 que le gouvernement du Canada, afin de protéger la population contre les excès de surfacturation et les frais imposés aux usagers pour des services médicaux, a adopté la Loi canadienne sur la santé, s’appuyant sur cinq principes : universalité, accessibilité, intégralité, transférabilité et gestion publique.
Bâti à partir d’un modèle centré sur les soins aigus, notre système peine maintenant à répondre adéquatement aux exigences découlant de la croissance des maladies chroniques associées au vieillissement de la population, aux changements socioéconomiques et aux habitudes de vie. Les besoins sont devenus plus complexes, les pratiques professionnelles ont évolué et font appel à des thérapies et à des technologies nouvelles, plus coûteuses. La santé et les services sociaux accaparent 50 % du budget de l’État. Si nos dépenses totales, publiques et privées, pour la santé sont inférieures, per capita, à la moyenne canadienne, elles sont supérieures en proportion de notre PIB.
Au printemps 2017, le Québec a protesté, à juste titre, contre la méthodologie utilisée par le gouvernement fédéral dans le calcul des transferts en santé. Le gouvernement québécois a affirmé qu’il vaudrait mieux que ces transferts s’appuient sur les besoins réels des populations des provinces et qu’ils tiennent compte, par exemple, du vieillissement de la population, des besoins pour les malades chroniques, pour la santé mentale, pour les jeunes en difficulté, etc.
Par ailleurs, depuis 25 ans, les réformes du système de santé québécois se succèdent et s’empilent, les unes sur les autres, modifiant les structures organisationnelles, la gouvernance du réseau et les modèles de prestation de soins. La dernière centralise les pouvoirs et confère à quelques personnes seulement une mainmise absolue et sans appel sur l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux. Cette centralisation s’opère sans égard aux patients, aux communautés locales et aux divers intervenants du réseau, et les prive de moyens pour faire entendre leur voix quant aux décisions qui les concernent.
Ces changements, décrétés au nom du bien-être des patients, visent l’accès et la continuité des soins et services, mais leurs fruits se font encore attendre. Comme le signalait le Commissaire à la santé et au bien-être de l’époque, Robert Salois, en août 2016 : « dans l’ensemble, le système de santé et de services sociaux du Québec offre des soins de haute qualité. Cependant, on constate une problématique majeure quant à l’accessibilité des services et à la continuité des soins, comparativement à d’autres provinces ou pays comparables (3) ». En janvier 2017, nouveau rapport du Commissaire, même constat (4).
Ce n’est pas nouveau, le système de santé et de services sociaux québécois connaît des difficultés sur le plan de l’organisation et de la dispensation des services de 1re ligne (santé physique, mentale ou psychosociale). Ces services sont habituellement donnés dans les CLSC, les pharmacies, les cabinets de services professionnels (psychologie, physiothérapie, travail social, etc.), les cliniques médicales (cliniques-réseau, GMF, GMF-U, etc.), ainsi que par des organismes communautaires ou la ligne Info- Santé.
Les services de 1re ligne doivent se déployer dans la communauté. En raison de l’inefficacité et de l’incohérence des réformes successives imposées à la 1re ligne, l’urgence des hôpitaux demeure trop souvent la porte d’entrée des patients pour des besoins pourtant non urgents ou de besoins liés à des problématiques plus sociales que médicales. L’accès aux soins et services est souvent difficile, les délais d’attente demeurent trop longs et le personnel du réseau est à bout de souffle.
Pour améliorer réellement et durablement l’organisation des soins et des services en 1re ligne, les solutions doivent s’appuyer sur les valeurs et le caractère public du système de santé et de services sociaux. L’organisation des soins et services doit ainsi garantir l’accès et la continuité et favoriser la pleine participation des patients et des divers intervenants du réseau.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé publique comme : « la science est l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé et la vitalité mentale et physique des individus, par le moyen d’une action collective concertée visant à : assainir le milieu, lutter contre les maladies, enseigner les règles d’hygiène personnelle, organiser des services médicaux et infirmiers en vue d’un diagnostic précoce et du traitement préventif des maladies, mettre en oeuvre des mesures sociales propres à assurer à chaque membre de la collectivité un niveau de vie compatible avec le maintien de la santé et du bien-être ».
En 1986, les pays signataires de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (5) reconnaissaient l’importance de promouvoir des politiques pour la santé de même que la nécessité d’un engagement politique clair en faveur de la santé et de l’équité dans tous les secteurs. Ce plaidoyer incitait les pays à oeuvrer sur les déterminants de la santé (6): le logement, l’éducation, le revenu, l’écosystème et l’apport durable des ressources ainsi que la justice sociale. En 2010, la Déclaration d’Adélaïde sur l’intégration de la santé dans toutes les politiques proposait une gouvernance partagée, multisectorielle, et la participation citoyenne en faveur de la santé et du bien-être (7).
Au cours des dernières années, les institutions responsables de la promotion de la santé et de la prévention des maladies ont subi des coupes sévères, soit environ 30 % de leur budget. La Politique gouvernementale de la prévention en santé, dévoilée au mois d’octobre 2016, est ambitieuse et présente d’intéressantes solutions. Malheureusement, elle ne dispose d’aucun moyen de financement.
Tout comme le financement du système de santé et de services sociaux est à repenser pour faire face aux défis du XXIe siècle, la budgétisation historique du réseau public ne permet plus aux établissements de remplir adéquatement leur mission. Il est donc impératif d’instaurer de nouveaux modes d’allocation des ressources visant à améliorer l’accessibilité aux services et à répondre aux besoins de la population.
Dans cette optique, le mode de rémunération des médecins constitue un élément central de la question du financement du réseau de la santé et des services sociaux. Il constitue un levier qui peut permettre de faciliter l’atteinte d’objectifs spécifiques comme, par exemple, l’amélioration des services de 1re ligne. Chaque mode de rémunération, comme chaque mode de financement, présente des avantages et des inconvénients qui doivent être pris en considération. Force est d’admettre que les modalités d’allocation des ressources et de rémunération doivent faire l’objet d’une réévaluation, le tout dans une perspective systémique, guidée par des données objectives et scientifiques et axée sur les résultats pour la population.
Quant au système actuel d’assurance médicaments, il est devenu inefficace, inéquitable et insoutenable en raison, entre autres, de sa fragmentation. Le fait d’avoir un système public universel d’assurance maladie qui ne couvre pas les médicaments est une curiosité pour les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cela n’est pas étranger aux coûts très élevés des dépenses de médicaments par personne ainsi qu’à la croissance des coûts. Pourtant, des économies substantielles pourraient être réalisées si un système universel et public était mis en place. Un tel régime devrait être accompagné d’un formulaire national, le recours systématique au pouvoir de négociation d’un pôle regroupé, l’élimination de toute coassurance ou franchise basée sur le prix officiel et des mécanismes de surveillance des bonnes pratiques de prescription et d’utilisation rationnelle du médicament.
La gouvernance du réseau
La réforme imposée par le ministre de la Santé et des Services sociaux par le truchement des lois 10, 20 et 130 a été et est toujours déstabilisante pour toutes les parties prenantes et pour la population. Principalement, la verticalité (top-down) de la prise de décisions, la centralisation excessive, l’absence de communication et le manque de transparence sont des irritants majeurs. Les soubresauts des réformes successives et des décrets ont contribué à l’instabilité et à la fragilisation du réseau public, dont les gens se sentent dépossédés.
Les patients, la population, les divers intervenants du réseau et leurs partenaires démontrent leur volonté de participer à un dialogue respectueux qui mènera à la mise en place de politiques efficaces. Un débat élargi incluant les dirigeants, les représentants des équipes de soins et les patients s’impose afin de mettre en place une gouvernance indépendante, transparente et imputable.
La relève dans le réseau
L’un des plus grands défis de notre système de santé est de réussir à intéresser une relève compétente et motivée. Selon le Système de projection des professions au Canada (SPPC), ce sont les professions du secteur de la santé qui connaissent actuellement et qui connaîtront les plus fortes pénuries de main-d’oeuvre au cours des dix prochaines années. Au Québec, la situation est encore plus sérieuse, dans la mesure où le vieillissement de la population – et de la main-d’oeuvre – est plus marqué qu’ailleurs, et que le réseau de santé et de services sociaux vit un grand bouleversement.
En 2014, le Ministère (MSSS) estimait devoir embaucher quelque 60 000 nouveaux employés au cours des quatre années suivantes pour remplacer les départs du personnel et satisfaire les besoins. Plus du tiers de nos médecins et environ le quart de nos infirmières ont 55 ans et plus. Il manquerait au moins 5 000 infirmières et entre 1 500 et 2 000 travailleurs sociaux et psychologues, de même qu’un nombre important de préposés aux bénéficiaires, d’auxiliaires aux services de santé et sociaux, etc. L’absentéisme au travail, notamment pour maladie et épuisement professionnel, atteint des niveaux alarmants.
Le défi est d’autant plus grand que les conditions de travail dans le réseau de la santé et des services sociaux apparaissent difficiles aux yeux des plus jeunes et des plus expérimentés, que la concurrence des autres secteurs d’activités pour attirer la main-d’oeuvre est très vive, de même que celle des entreprises privées du secteur de la santé. Tout cela pose un défi d’attrait et de rétention de la main d’oeuvre.
1 Loi sur les services de santé et les services sociaux, chapitre S-4.2, art. 5.
2 Ibid, art. 6.
3 Entendre la voix citoyenne pour améliorer l’offre de soins et services, Rapport d’appréciation thématique de la performance du système de santé et de services sociaux 2016 – Un état des lieux, Commissaire à la santé et au bien-être, gouvernement du Québec, 2016.
4 La performance du système de santé et de services sociaux québécois 2016, Commissaire à la santé et au bien-être, gouvernement du Québec, janvier 2017.
5 http://www.euro.who.int/_data/assets/pdf_file/0003/129675/Ottawa_Charter_F.pdf.
6 MARMOT, M. et R.G. Wilkinson, Social Determinants of health, Oxford University Press, 2006. http://nccdh.ca/fr/resources/entry/fair-society-healthy-lives.
7 http://www.who.int/social_determinants/french_adelaide_statement_for_web.pdf.
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